[ MISSION TERMINÉE ] Une âme s'est envolée (2/2) (/!\ SOMBRE)

"Anita."

Le bel homme avait un sourire calme mais heureux, comme s'il y retrouvait une nièce, une cousine, une enfant qui aurait bien changé, en tous les cas, pas une associée... Il ouvrit grand ses bras et s'approcha d'elle avant de lui serrer la main avec flegme. Son regard brillait de cette malice latente. Ses doigts gauches mécaniques firent à Anita l'effet d'une froideur insolite.

"... Cette façon que tu as de te tenir, c'est tout ton père, j'aurai cru le voir !"

Elle lui rendit son sourire, mais avec moins d'entrain.

"Dominic, dis-moi donc ce qui t'emmène ? Je n'ai plus pour habitude de recevoir des invités dans cette tour."

"C'est ce que j'avais cru comprendre."

Il devint songeur, puis releva des yeux, un peu embêté, comme s'il s'était trahi par cette seule phrase.

"Le marché, ca va ca vient, tu sais ce que c'est... J'ai entendu dire que tu comptais relancer l'affaire familiale ?"

"Ah... Vraiment ?" s'amusa Anita. Sa mère, ce ne pouvait être que sa mère.  Heureuse de pouvoir glaner, ça et là, des vestiges de gloire passée, nourrissant tant d'amour pour ses rêves cramés qu'elle ne voyait en Anita qu'un moyen de redorer la réputation familiale : c'était certain, il lui aurait fallu en parler à tous. Dans un petit rire second, Anita fouilla dans son manteau cintré. Elle en ressorti un paquet de cigarillos d'une marque hors de prix qu'on ne trouvait presque plus sous ce dôme et s'approcha de lui, lui en offrant un, ainsi que la flamme de son briquet, où l'on pouvait y voir deux ailes gravées. Ses mouvements pris d'une lenteur absente, elle lui glissa un regard oblique, calculé, si bien qu'il en resta déconfit : oubliant, peut-être, à quel point elle avait grandi.

"De l'eau a coulé sous ce dôme... Je suis curieuse d'écouter ta requête."

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Aurait-elle dû lui dire qu'elle n'avait pas de réseaux fiables au Lys ? Que tous ses partenaires l'avaient lâchée car conspuant, peut-être, sur le caractère jeune et velléitaire d'Anita, elle qui s'était lancée à corps perdu de régler ses besognes à coups de lame ? Il devait bien l'avoir deviné tout seul...
Qui choisissait d'être veilleur quand on avait à charge une affaire qui pouvait rapporter des millions de crédits ?
Qui abandonnait une tour entière pour se caser dans un appartement cloisonné du nid de coucou ?
Mais il y avait une chose qu'ils oubliaient
tous
Alors, fumant sa cigarette, elle resta adossée contre le mur de la venelle, les bottes croisées. Très calme, son visage se leva vers la voute invisible pour souffler la fumée, son regard s'égarant... Elle appréciait le contact de ces moments d'entre-deux où les brèves accalmies dénonçaient, de façon sporadique, l'entrée d'orages brutaux. Comme lui avait dit un homme mort : "Souvent, un silence se lève avant tout premier coup de feu."

Finalement, elle se détacha du mur, enfila ses gants noirs par une habitude qui rendait ses gestes machinaux, et alla taper à la porte en question.
Ailleurs, vers la cité du gouffre, elle ne se serait pas donné cette peine. Mais en friche de la Caste, elle savait encore faire preuve de manière...

Je viens pour l'annonce, oui... répondit doucement Anita, d'un ton qui pourrait apaiser sa folie et raviver un mince espoir, c'était dans ces conditions d'espérance que les langues se déliaient le mieux, non ?

D'un pas serein elle s'invita à entrer, sa gabardine claquant contre ses mollets. Son regard survola l'endroit désolé, les bouteilles au sol, l'odeur âcre et poisseuse des alcools laissés à macération... Elle ne trahissait rien, rien qu'un air songeur et déconnecté.  En réalité, elle repensait aux paroles de Dominic. Elle se demandait quelle tête il aurait tirée s'il avait croisé cette femme aujourd'hui.
Comme si elle ne voyait pas dans quel état décharné la dame se trouvait, Anita lui offrit un sourire d'autant plus poli, sa tête un peu penchée sur le côté. - la vraie raison de son indifférence, c'est qu'elle n'en avait pas grand chose à faire. Il ne lui paraissait pas surprenant, sous ce dôme, de trouver des individus pris par une telle décadence...

Par une pensée curieuse, elle se retourna vers l'entrée, pour passer ses doigts fins sur le pan de la porte, désireuse de s'engager tout de go sur la voie des recherches et ainsi s'éviter des politesses creuses, comme leur échange respectif de noms : elle n'avait pas très envie qu'on la relie au Mécène.

"Quel genre de serrure utilisiez-vous ? Possédiez-vous un quelconque système d'alarme... ? La porte, a-t-elle été forcée ? Aviez-vous vu remarqué des signes d'effraction, de lutte ?"

Il aurait été plus simple de mener son enquête dans le nid de coucou. La caste, d'autant plus à l'orée de la Passerelle, était un quartier compliqué sujet aux disparitions. Assez de ressources à exploiter mais pas suffisamment de sécurité à portée de main. Ce Panda ami de Roxi et cette fille, comme tant d'autres, chaque journée avait son lot de ces mystères qui débordaient sur le travail de la police. Anita était comme convaincue que Dominic avait raison : "jamais les policiers ne se pencheraient sérieusement sur ce cas".

Elle se redressa, resta courtoise, et tout aussi protocolaire, sans la moindre gêne, elle lui montra son propre sofa. Son état n'était pas des plus évidents, l'alcool risquait de brouiller cette introduction...

- J'aimerais que vous me disiez tout ce que vous savez. Y compris ce qui vous semble anecdotique. Avez-vous reçu un rapport de la police ? Aviez-vous des amis ici, et votre fille ? Des échanges sur Terra2 ? Qu'en est-il de son père ? S'il vous plaît, n'omettez aucun détails. 

“ Veuillez m’excuser pour le bazar, je viens seulement de me lever… ” Non. Elle ne peut décidément pas dire ça. Ça n’a non seulement rien de crédible vu l’étendue du bazar en question, mais de plus cela revient à dire “ Ça fait pas une heure que je suis réveillée et je suis déjà pétée comme un coing. ”. La dernière chose qu’elle souhaite est de passer pour une loque humaine, mais c’est manifestement peine perdue. Seulement, qui voudrait travailler pour un déchet ambulant ? Peut-elle vraiment avoir l’air fiable dans de telles circonstances ? Alors qu’elle fait marche arrière pour laisser entrer la jeune inconnue, elle manque de s’affaler tant elle peine à mettre un pied derrière l’autre.

Et pourtant, de tout cela, la jeune femme ne semble en avoir cure. Plus précisément, elle paraît ne pas se soucier d’Alma un instant. Perdue dans ses pensées, elle arpente et inspecte l’appartement, davantage pour trouver d’éventuels indices que pour juger de son état lamentable. Tout juste se fend-elle d’un sourire à l’adresse d’Alma qui, trop hébétée par l’attitude entreprenante - mais sans doute aucun professionnelle - d’Anita, ne parvient pas à lui rendre. Elle a encore trop de peine à remettre de l’ordre de ses pensées, tandis que les premières interrogations fusent. Porte, serrure, lutte… Tout se bouscule et se chevauche dans son crâne douloureux, sur lequel elle vient frapper de la paume de la main.

Abrutie ! Idiote ! Pauvre conne ! se maudit-elle. Dans ses rêves, ses cauchemars et ses pensées, elle avait vécu cette scène cent fois, mille fois préparée à cet instant qu’elle n’espérait plus. Elle s’était récitée son texte, avait compilé toutes les informations utiles, savait parfaitement quoi dire… Et pourtant, le moment désormais venu, tout n’est plus qu’un immense fouillis dont elle peine à extirper les mots.

“ Je… ”

Plus elle tente de saisir ces informations qui lui échappent, et plus elles se font inatteignables. Tout semble aller trop vite pour elle. Cette venue impromptue à laquelle elle n’était en réalité que peu préparée la perturbe fortement. De panique, elle se met à trembler, de peur de gâcher sa seule chance de retrouver sa fille. Elle doit absolument reprendre ses esprits. Elle tente d’inspirer profondément, tandis qu’Anita lui désigne le sofa d’un geste conciliant aux airs toutefois impérieux, accompagné de plus de questions encore. D’un signe de la main, Alma lui fait signe de lui laisser quelques instants.

“ Excusez-moi. Je… Je vais vous répondre tout de suite. Laissez-moi juste le temps de… me rafraîchir un bon coup. ”

Direction le robinet, où elle noie son visage dans l’eau glaciale. Elle en profite pour boire goulument, avant de se redresser. Elle tamponne son visage humide avec le bas de sa chemise - autrefois blanche, aujourd’hui grisâtre - avant de passer sa main dans ses cheveux afin de les rabattre vers l’arrière. Elle se dirige alors vers la table à manger, ramasse l’une des deux chaises qui avait été envoyée valser auparavant par un coup de pied rageur, et invite Anita à s’y asseoir. Elle prend place en face, et de ses mains tremblantes saisit le paquet de cigarette afin de s’en allumer une. Les yeux clos, elle prend une seule bouffée, si ample que près d’un quart de la cigarette se consume aussitôt. Elle la laisse empoisonner ses poumons de longues secondes avant de lentement la recracher. Une fois l’épaisse fumée chassée, elle découvre ses deux yeux bien ouverts, cette fois habités d’une détermination sans faille. Enfin, elle a recouvré ses esprits.




“ Premièrement… Merci. D’être venue. Rien ne dit que vous la retrouverez… Ou si elle est toujours… Rictus de douleur. Elle refuse de terminer cette phrase. Mais… je tenais à vous le dire. Je vais tout vous raconter… Vous avez parlé de la porte, c’est bien ça ? ”

Elle regarde vers l’entrée, pensive, les sourcils froncés. C’est un sujet qui semble particulièrement la déranger.

“ C’est une serrure électronique. Ma fille et moi sommes les seules à en avoir l’accès. Elle tapote la montre à son poignet gauche, indiquant certainement que c’est ce qui lui fait office de clé. La porte n’a pas été enfoncée, non… Elle a été piratée. Ils sont entrés ici comme s’ils étaient entrés chez eux. Son poing se serre. J’étais… absente, à ce moment-là. ”

L’espace d’un instant, son regard se fait fuyant, pourchassé par sa propre culpabilité. Elle tire de nouveau sur sa cigarette. La cendre se détache pour tomber sur la table, mais elle n’y prête pas attention. Elle n’est plus vraiment à ça près.

“ Il n’y a eu donc ni alarme… ni rien. Les voisins… n’ont rien vu, rien entendu. Pas le moindre choc. Pas un seul cri. Ils l’ont certainement… assommée, aussitôt entrés. Ils ont été filmés par une caméra de surveillance, dans le hall. Ils auraient pu aussi la pirater, mais apparemment, ils s’en foutaient de couvrir leurs traces. C’est ce que la police a supposé, en tout cas. Ce jour-là, un peu après minuit, trois personnes cagoulées ont été filmées. Elles sont entrées les mains vides, et sont ressorties en transportant un sac… Un peu comme ces… ces housses mortuaires, vous voyez ? ”

Ses yeux, troublés, se perdent dans la contemplation de la fumée dansante qui émane de la cigarette. Pour elle aussi, il y a encore beaucoup de questions sans réponses.

“ Mais elle était vivante. Je le sais. Je… Je peux vous l’assurer. Au fond de moi, je le sais. Il n’y a pas eu de lutte. Il n’y avait… pas de sang, rien. Et puis… la police était aussi de cet avis. Toutes ces choses brisées que vous pouvez voir… C’est… C’est moi qui ai fait ça. Quand je suis rentrée, ce soir-là, tout était parfaitement intact. Il ne manquait que ma fille. Rien n’avait été volé. Et… c’est ce qui est le plus inquiétant. Comme la police l’a dit… ”

Une autre bouffée, rapide. La fumée s’échappe de sa mâchoire serrée par la colère.

“ Ils savaient exactement ce qu’ils cherchaient. Et où la trouver. Cette attaque était ciblée. Alors vous allez vous demander, qui ? Pourquoi ? Est-ce qu’un de vos proches pourrait vous en vouloir ? J’aurais bien aimé. Ça aurait rendu la chose plus facile. Mais non. Je n’ai aucun proche. Et elle non plus. Je suis tout pour elle, et elle est tout pour moi, vous comprenez ? Nous n’avons besoin de personne d’autre. Je n’ai pas la moindre idée de qui pourrait bien vouloir nous faire ça, ou pourquoi. On avait notre petit monde à toutes les deux… et nous ne dérangions personne. Vous avez pensé au père, c’est ça ? Si seulement. Il est… ”

Elle baisse le regard pour se concentrer sur son mégot qu’elle écrase avec une insistance particulière sur la table métallique.

“ Il est mort. Avant sa naissance. Elle ne l’a pas connu. Ça fait des années que je me saigne à l’élever seule. La police a de toute façon enquêté sur toutes les pistes simples de ce genre. Collègues de boulot, et caetera, sans rien trouver de concluant. Aucun coupable potentiel. D’autant plus qu’ils ignorent pour la plupart que j’ai une fille. Ou bien où j’habite. Mais la police sait… où ils l’ont emmenée. Ils ont pu tracer les kidnappeurs jusqu’à la Brèche. C’est là que ces salauds m’ont lâchée. Un mois de perdu. ”

A peine sa cigarette terminée qu’elle s’en empare d’une seconde. Puis, désormais bien revenue à elle, elle prend conscience de son impolitesse. Elle secoue le paquet afin qu’un cylindre se dégage des autres et le tend à Anita.

“ Pardon. Vous en voulez une ? Ou quelque chose à boire ? Croyez-le ou non, mais j’ai aussi de l’eau. ”

Une chose qu'Anita trouvait plombant : devoir gérer les émotions des personnes, qu'importe leur identité, arrivait ce moment où, lors d'une transaction ou d'un échange tout juste protocolaire, l'on tombait sur des personnes incapables de taire leur trauma : avaient ils oublié dans quel monde ils étaient nés ? Très calme, elle se contenta de la suivre jusqu'à la salle à manger. Dans sa marche, elle butta contre quelques bouteilles : le bruit de celles-ci rebondit contre les murs dans un écho de tenaille...
Une fois assise, accoudée à la table, elle se contenta de croiser ses doigts et reposer son menton contre tandis qu'elle l'écoutait...

Finalement, elle consentit à accepter la cigarette que l'autre lui tendit. Mais repoussa le reste de sa proposition d'un geste de sa main gantée.

"Ca ira, merci." Elle alluma la cigarette à l'aide de son Zipo électrique, la tête penchée sur le côté, les yeux dans le vague. Les paroles de cette femme lui revenaient. Encore une fois, problématiques, car il s'y mêlait ce rythme pâteux et latent qui déformait les détails.

"Ils ont piraté cette porte ? Les habitants coincés dans la cité du Gouffre n'ont pas de tels moyens" elle releva son regard vers elle en guise de poursuite.

" L'avoir mise dans un sac...-elle ne semblait pas dérangée de parler de sa fille d'une façon aussi secondaire, égarée dans ses propres réflexions - Si on cherche à ne pas éviter l'attention, il suffirait de porter un corps entre ses bras, prétexter un malaise... (elle agita la cendre sans vergogne) Mais le trainer, sous l'oeil des caméras et possiblement des voisins... C'est d'un amateurisme..." elle hocha de la tête, soufflant la fumée sur le côté.

"Qui se donnerait autant de peine ? Qui se laisserait voir aussi aisément ? Pas de vols, pas de demande de rançon, pas de crédits recherchés ?  A moins que le but ne soit de vous atteindre ?"

Elle lui lança un second sourire risqué

"Mes excuses. J'extrapole. Auriez vous la vidéo en question ? Pourriez vous me l'envoyer ?"

Elle finit par écraser la cigarette contre le coin de la table, mais ne la jeta pas n'importe où : préférant, à cela, attraper une boîte à mégots rangée sous sa gabardine, qu'elle ne s'employait à utiliser que dans les lieux plus cousus d'or...

"Pour le reste, je crois posséder tous les éléments qu'il me faut."

Maigres, plutôt vides de sens, mais pas plus incohérents que le monde dans lequel ils vivaient ici bas.

Alma s'apprêtait à lui partager la flamme capricieuse de son briquet en fin de vie, mais s'était ravisée en voyant Anita dégainer son Zippo qui renvoie son misérable feu à l'antiquité - quelque part vers les années 2000, donc. L'observant, d’un oeil critique, se munir d'un cendrier de poche de ses mains délicatement gantées, elle en conclut que son interlocutrice ne fait définitivement pas partie de la classe moyenne, bien que ses manières et son accoutrement étaient déjà deux indices bien suffisants.

Dès lors, elle se met à douter une fois de plus. Doit-elle vraiment placer ses espoirs dans une jeune femme manifestement issue de la haute société ? Elle craint fort que toutes ses manières et son allure ne fassent que la desservir, une fois dans le Gouffre, d'autant qu'elle ne paraît pas très diplomate. Elle-même, pourtant plus proche de la rue qu’Anita ne semble l’être, avait bien failli y laisser sa peau et deux-trois organes en prime. Alors quel sort pourrait-on bien réserver là-bas à une femme de son envergure, qui plus est venue fourrer son nez dans la soie mouché là où il ne faut pas ? Combien de questions fâcheuses avant qu’on ne lui coupe le sifflet au fil du rasoir ?

Mais Alma se garde bien de la mettre en garde et de lui faire part de ses inquiétudes. Peu importe si cette jeune femme ignore ce dans quoi elle s’embarque. Et tant pis si elle court au-delà d’une mort certaine. Il faut bien que quelqu’un y aille, de toute façon. De préférence, quelqu’un d’autre qu’elle-même. Bien qu’aucun sacrifice ne soit trop grand, elle et sa fille passent avant tout. Elle doit rester en vie, pour elle. Alors, si quelqu’un doit prendre le risque… Mieux vaut donc éviter de la décourager. Et puis, qui sait, peut-être a-t-elle plus de ressource qu’Alma ne se l’imagine ? Des relations dans le milieu ? Elle paraît si professionnelle, elle n’aurait pas accepté une telle mission sans avoir conscience du danger encouru… C’est du moins ce dont Alma préfère se convaincre.

En outre, elle évite sagement de commenter les incohérences et étrangetés de son récit relevés par Anita. Elle a parfaitement conscience que son histoire paraît cousue de fil blanc. Il y a d’un côté, ce qu’elle ignore, de l’autre, ce qu’elle tait, et entre les deux, ce qui paraît vraisemblablement invraisemblable. Mais Anita devra manifestement s’en contenter. Cela devrait de toute façon lui suffire. Elle n'a pas nécessairement besoin d'en savoir davantage...

“ Désolée… Je ne peux rien vous dire de plus. C’est tout ce que je sais. Je n’ai pas la vidéo en question, malheureusement. La Police m’a permis de la visionner lors d’un interrogatoire, mais elle fait partie de leurs dossiers. Alors, à moins que vous y ayez accès… ”

Elle hausse les épaules en faisant une moue découragée. Son regard lorgne vers une bouteille entamée, posée sur un coin de la table. Sa déclaration lui donne terriblement soif. Il y a quelques petites choses qu’elle noierait bien au fond d’un verre. Mais cela devra attendre que son invitée ait pris congé.

“ Donc, c'est toutes les informations que je peux vous fournir… Enfin… Il vous en manque quand même une, je pense. Il y a moyen que ça vous soit utile. ”

Alma pense, comment aurait-elle fait sans ? Est-ce qu’elle sait vraiment ce qu’elle fait ? D’un doigt, elle tapote et balaie l’écran de sa montre. Un modèle qu’on ne penserait pas voir sur la Passerelle, vestige évident de sa vie passée d’oiseau. Après quelques secondes, l’hologramme d’une jeune fille d’une dizaine d’années, longs cheveux noirs et yeux verts, est projeté au-dessus de la table.

“ C'est un holoscan ( on va dire ça s’appelle comme ça ) de son visage. Je vais vous le faire parvenir. Et...  Elle s'interrompt et se fige un instant, sous l'effet d'un choc soudain. Une certaine panique se lit alors dans son regard. Et maintenant que... vous savez tout... J'imagine que vous voulez parler rémunération ? ”

Alma avait été si troublée de voir quelqu'un répondre à son annonce qu'elle en a presque oublié ce dernier " détail ". Après tout cela, il y avait encore une chance - de bonnes chances, même - pour qu'Anita lui rie au nez avant de prendre la porte, l'abandonnant à ses espoirs piétinés.

Anita resta déconfite un court instant. Elle avait omis le fait tout simplement du peu d'accès qui officiait sous ses doigts. Son père aurait pu en récupérer cette vidéo, jouant de quelques contacts rodés comme on rabat des cartes sans valeurs. Mais pas Anita. Et pourtant, il lui avait paru naturel, presque inné, d'y avoir accès, si habituée qu'elle était aux privilèges de son enfance. Ce fait, aussi simple que révélateur, lui fut déroutant.

Dans un silence absent, elle rangea sa boîte à mégots. Son regard resta perdu sur l'hologramme qui tremblotait dans la pièce sombre tandis qu'elle appareillait sa bague à la montre sous un murmure... Puis, elle raccrocha son regard dans celui de la femme esseulée. Sans rien dire, durant un moment qu'on put considérer plus ou moins long, elle finit par se lever de sa chaise.

"Je vous en prie, attendons de connaître le succès de mes recherches... il me paraît malvenu de parler honoraires alors même que je n'ai pas eu à prouver mes services... Pour le reste, je vous ai envoyé mes coordonnées sur votre montre." Un moyen comme un autre de noyer le poisson : elle s'était déjà arrangée avec Dominic, elle ne lui prendrait pas un crédit.

Allant vers elle, elle lui tendit alors sa main pour serrer la sienne, d'une poigne douce mais franche, rodée à ces coups qu'on envoie et qu'on pare par mécanisme de survie: ses yeux céruléens la fixèrent par dessus un petit sourire qui laissait toujours un certain froid, sans qu'on ne se l'explique, reflet d'une âme qui échangeait sa joie aussi fidèlement qu'un animal qui aurait été formé à cela. Lentement, voilà qu'elle se pencha, après quoi, vers elle, pour lui murmurer à l'oreille, comme on concéderait un secret à une bonne amie, alors même qu'elles n'étaient que deux dans cet appartement...

"Si ce sont des ennemis que vous avez et qu'ils aient souhaité vous porter atteinte, alors ils seront heureux d'apprendre que leur coup a porté ses fruits...Pour le bien de votre enfant, et pour sa mémoire, ne leur offrez pas ce privilège... " Elle se redressa, lui envoya un regard éloquent sur cette mine au petit sourire conservé qui en devenait presque déplacé... "ne les laissez pas gagner non plus..." elle tapota doucement sa tempe de son index ganté "là dedans".

Sur ces mots elle se redressa, lui offrit un dernier regard poli. Puis elle l'abandonna, dans un petit demi tour serein, sous le noir confondu de sa gabardine qui laissa de son passage ce mince bruit d'étoffe dans la pièce morte.

@Junk

Alma ne perçoit pas vraiment la décision d'Anita d'un bon oeil. Elle ignore même que répondre à ça. Qui irait prendre de tels risques sans savoir à quel prix ? D'autant que l'état d'Alma - et de son appartemment - peuvent aisément soulever de sérieux doutes quant au montant promis. L'altruisme et la générosité sont deux mythes issus d'une époque révolue antérieure à l'Apocalypse ; aujourd'hui, ce sont des valeurs absentes de la société, au point même de ne plus être mises en avant des les oeuvres culturelles, remplacées par des idéaux capitalistes et de la propagande pro-Élite. Alors, il paraît évident que ce n'est pas de bonté de coeur dont il s'agit ici.

Il y a quelque chose qu'Anita lui cache, et Alma s'est habituée à envisager le pire. Quelles sombres motivations peuvent bien animer cet étrange personnage ? Elle doit avoir un autre intérêt que les crédits dans cette affaire, mais lequel ? Alma aurait dû s'en douter dès le départ. Pourquoi une personne de son rang s'abaisserait à accomplir un contrat aussi minable, alors qu'elle pourrait vraisemblement consacrer son temps à quelque chose d'autrement plus juteux ? Au final, ses intentions sont aussi douteuses que celles des ravisseurs...

Avec la désagréable certitude de ne rien comprendre à rien, Alma se lève à son tour, la mercenaire semblant sur le départ. Elle lui serre la main, dans laquelle elle place tous ses espoirs, lui offrant par la même un signe de tête entendu. Mais lorsque la mercenaire se penche, elle a un mouvement de recul surpris, puis un sursaut méfiant quand Anita lui tapote la tempe. Là encore, elle reste sans voix, choquée par son attitude. Mais plus encore par ses mots. A cette façade courtoise, elle renvoie un regard interloqué.

Pour le bien... de sa mémoire ?

L'envie de rétorquer lui prend, alors qu'Anita lui tourne le dos sans attendre de réponse, mais elle se contente de baisser les yeux, le visage sombre. Une fois la femme partie, elle se laisse choir sur le canapé. Oui, ici, ils ont déjà gagné. Ici et là-dedans. Mais le pire dans tout ça, c'est cette certitude de n'être qu'une victime collatérale. D'avoir pris une balle perdue. Une vieille canette de bière sur la route que l'on écrase sans même s'en rendre compte.

Elle laisse son bras traîner jusqu'à une canette ouverte non loin d'elle, et la secoue pour en vérifier le contenu. Il en reste quelques maigres gorgées qu'elle descend d'une traite. Une bière oxydée, oubliée là trois jours auparavant, et dans laquelle elle avait abondamment cendré. Mais elle ne s'en rend même pas compte.
Non pas parce que plus rien, pas même la vie, n'a de goût pour elle. Mais parce que tout lui paraît infect.
Oui, la vie est infecte.

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Pie trop curieuse égarée dans un nid de vipères, Anita n'a d'autre choix que de s'aventurer au coeur de la Brèche, où elle a rapidement le sentiment d'être une intruse, sinon une proie. Elle devine, dans les vapeurs douteuses qui s'échappent de commerces tout aussi louches, des silouhettes menaçantes qui la dévisagent avec méfiance. Certains crachent sur son passage, d'autres font des moulinets de leur canifs, tandis que certains stores et volets se ferment avant même qu'elle n'ait pu s'en approcher. Autant de messages destinés à lui faire comprendre qu'elle n'est pas la bienvenue en ces lieux.

Elle doit pourtant bien parvenir à s'adresser à quelqu'un si elle veut espérer glaner la moindre information, mais ceux qui daignent lui répondre ne le font que pour l'insulter et la menacer. Quelques rares bougres, néanmoins, se montreront plus bavards - comprendre corruptibles - et voudront bien l'aiguiller. Entre les mensonges de petits escrocs et les informations avérées mais peu utiles, une piste intéressante se dégagera néanmoins. Le nom du " Courtier " reviendra plusieurs fois. Un homme qui aurait fait de l'information son fond de commerce, échangeant et monnayant secrets et rumeurs fondées.

C'est peut-être une magouille élaborée, un piège dans laquelle on l'attire, mais ce sera sa seule et meilleure piste. Qui la mènera dans les profondeurs de la Brèche, au bout de ruelles sinueuses, aux pieds d'un minuscule bâtiment carré aux murs de béton, de la taille d'une unique pièce, dépourvu de fenêtre ou de tout autre artifice.
Simplement quatre murs et une porte métallique sans poignée. Avec à côté, une sorte d'interphone muni d'une caméra qui semble l'épier.

"Jle sens pas, on devrait pas écouter c'quils ont à dire."

Il citait, par cela, les quelques langues qui s'étaient déliées.
Une main sous sa gabardine, elle avançait sans lui répondre. Belphor la flanquait de son éternel mètre quatre-vingt dix. Il respirait fort comme un ours essoufflé, ses petits yeux injectés de sang à cause d'un manque de sommeil évident qu'elle n'avait pas le temps de gérer.

"Jle sens vraiment, vraiment pas" Anita

Des silhouettes sifflèrent au passage d'Anita. On se gaussa. Le souffle chaud de Belphor agitait sa capuche qu'elle tenait rabattue sur ses cheveux blancs.

"Pourrais-tu te calmer ?" finit-t-elle par dire d'un ton égaré - occupée à vérifier chaque endroit qu'ils empruntaient par principe de survie.

"Comment tu veux que j' sois calme?"

"Peu importe Belphor... Tu vis dans la Brèche, tu y es acclimaté."

"Pas ici. PAS ici... Oh Non..." il s'ébroua, passant sa main sur son visage de panda, par dessus sa large truffe humide.

"Faudrait être fou pour venir ici. Pourquoi on y vient ?"

"Les affaires."

"Ah... ah ah .. "les affaires"..." Il claqua sa grosse mâchoire aux canines longues - Anita l'avait déjà vu refermer sa gueule sur des cranes humains.

"Si tu as besoin de décharger ton stress, tu n'as qu'à en tuer un... pourquoi pas celui-ci" dit-elle d'une voix monotone tout en marchant tandis qu'elle lui désignait un homme recroquevillé dans le coin de la ruelle qui psalmodiait tout seul. Belphor ne dit rien, ne sachant trop si elle plaisantait ou elle l'y invitait vraiment : il n'avait, pour ainsi dire, pas grande jugeote si ce n'était celle de poursuivre les ordres d'autrui, pour peu qu'il en recevait rétribution... D'autres stores se baissèrent à leur passage. Dans un coin, une femme munie d'un masque métallique les regarda jusqu'à temps qu'ils bifurquent dans la venelle suivante. D'un geste ferme, Anita resserra le poignard sous sa gabardine.

"Je ne sais combien vaut une fourrure de panda, alors ne nous égarons pas."

Pour toute réponse, Belphor lâcha un grognement étonnamment animal.

Finalement, elle s'arrêta devant une porte qui ressemblait plus à une palissade, estampillée d'un interphone avec caméra. Ses sourcils étaient froncés, preuve, s'il en était, de son inconfort. Ici, c'était cette zone jumelée à la cité du gouffre où les travailleurs sans crédit forgeaient des armes sans identification. La bordure finale de la brèche prise par les relents du fer qui oxydait les rudes saillies des surfaces faites de plus de métal que partout ailleurs dans ce quartier crapuleux. Et malgré tout, Anita sonna à la porte. Sous le gant opaque de sa main gauche, sa bague clignotait d'un bleu invisible, radar discret dans cette mer où il fallait naviguer à vue - Anita n'était pas assez folle pour avoir plongé là sans bouée de secours.

Elle eut un sourire qui ne convenait pas ici. Belphor recula de trois pas.

"J'y entre pas."

"Il faudra bien."

"Tu m'y feras pas descendre."

Anita prit le temps de murmurer contre sa bague : conservation des coordonnées, de prime, puis envoie, moins factuel, auprès du dernier filon qui lui restait...

"Je doute que ma bague fonctionne aussi bas sous terre." murmura-t-elle. Elle se sentait prise d'une certaine ébriété, comme quand on se vissait, à deux doigts d'un précipice, sanglée à la taille, et qu'on vous disait alors de sauter sans avoir jamais rien entendu des autres participants ayant tenté l'expérience avant : mort, vivant ?

Subitement, l'hologramme jaillit à travers un faisceau de sa bague qui traversa son gant. Une femme, entre deux âges, lorgna par dessus un socle de verre qui, visiblement, lui compliquait la tâche pour apercevoir le visage d'Anita à travers son propre hologramme.

"Vous êtes où ?"

"Quelque part vers les enfers" s'amusa Anita. Belphor dansait sur ses deux pieds, indécis. Alors elle jugea bon d'empoigner son gros bras pour l'inviter à passer devant. Sous une situation de stress, il en perdait ses derniers neurones, Anita le guiderait pour lui, peu importe.

"Tu peux me dire ce que j'peux faire ?"

"Dominic, je t'ai échangé ses coordonnées . Si je n'en ressors pas, il aura une dette envers moi. Je te saurai grée de lui transmettre ma localisation, qu'il fasse se soulever ce bunker de l'intérieur s'il devait m'arriver quelque chose. Même morte, j'ai des documents en ma possession." La dernière phrase, l'autre ne sembla pas la comprendre. Elle se contenta d'acquiescer, puis tourna sa tête : manifestement son lieu d'échange souffrait d'interférences qui n'avaient rien à voir avec les boyaux de la brèche où ils se trouvaient.

"Ouais compris, 'Bye"

Lorsque la lueur verte de l'hologramme s'éteignit, Belphor parut la regretter, amèrement.

"Allons y" dit-elle, juste. La porte se referma aussitôt derrière eux. Belphor posa sa large paume contre le mur.

"Putain de merde." On eut dit qu'il allait tourner de l'oeil.

"Courage l'ami" Elle resserra sa capuche, lui offrit un sourire engageant.

"On finit tous par mourir un jour, il serait fâcheux de l'oublier."

Il grogna, la suivit tout en regardant partout, là où il n'y avait rien à voir. Direction la dernière porte, qu'elle se tiendrait prête à ouvrir.

Comme prévu, la porte se referme dès que les deux braves mercenaires se sont aventurés dans les escaliers, les coupant du monde extérieur, et les privant par là même de toute échappatoire. S'ils décidaient de faire demi-tour maintenant, se rouvrirait-elle ?
Ils sont désormais plongés dans une obscurité plus épaisses encore... Enfin, " braves " aventuriers. Parler ici de bravoure serait peut-être enjoliver les choses. Est-ce bien de cela dont il s'agit, pour Anita ? Concernant Belphor, la question ne se pose pas : il s'est simplement résigné à la suivre à contre-coeur, non sans redoubler de méfiance.

A mi-parcours, ils passent à travers une sorte de portique de détection qui ne manque pas d'émettre un bip désagréable à leur passage, réagissant sans doute à ce que le duo transporte sur lui. Au moins, cela n'a pas déclenché d'alarme, et les néons n'ont pas viré au rouge. Reste que cela n'a rien de très rassurant : lorsque l'on a un atout dans sa manche, on a tout intérêt à ce qu'il reste secret...

Une fois arrivés en bas, nul besoin d'ouvrir la porte, celle-ci étant également contrôlée à distance. Ils ont la charmante surprise d'être accueillis par deux fusils, avec à leur bout deux gardes qui bien qu'à visages couverts paraissent parfaitement patibulaires. Massifs - pas autant qu'un panda cela dit - et munis de protections sommaires mais fonctionnelles, ils sont impressionnants mais pas forcément agressifs. Si l'on oublie les canons qu'ils brandissent, bien sûr. L'un d'eux prend la parole d'une voix ferme :

" Pas d'armes. Aucun instrument d'enregistrement. Flingues, couteaux, montres : vous déposez tout ici. Si vous avez des implants, on le saura. Si ça vous convient pas, vous faites demi-tour. "

Pas de salutations ni rien. Son texte est bien rôdé : c'est une procédure habituelle à laquelle il est depuis longtemps initié. Du bout de son arme, il désigne un genre de coffre métallique au sol, juste à côté de l'entrée. Ils se trouvent dans une salle minuscule, pas plus grande que le bâtiment en extérieur, avec en face de l'entrée, une nouvelle porte similaire à celles déjà empruntées, précédées d'un second portique histoire de s'assurer que les visiteurs n'aient rien oublié dans leurs poches. Ceci n'est qu'une mesure de sécurité supplémentaire - certainement la dernière - avant de pouvoir enfin s'adresser à celui qu'ils recherchent.

Et peut-être que c'était dans ces brefs moments qu'on mesurait à quel endroit du prisme de la folie se trouvaient les gens. Car si Belphor se vouait à un exercice difficile pour contenir son besoin de s'échapper de là, se tenant de ses larges bras au mur à mesure qu'il descendait en murmurant des "j'aurais jamais dû venir, jamais" Anita était prise dans un tourbillon étrange d'émotions. Comme quand on se sait marcher sur cette fine pellicule de glace prête à céder mais que le sentiment de froid, et celui d'une immensité sans horizon, soit plus intense, vous rende presque plus vivant, en un sens : aussi, lorsque la dernière porte s'ouvrit avec pour accueil chaleureux les canons, elle ne put qu'échapper un rire silencieux qui agita discrètement ses épaules, tandis que Belphor, démuni et paniqué, la regardait d'un air éberlué. Il lui fallut passer une main gantée sur son visage pour vraiment contenir son rire.
C'était absurde. Toute cette sécurité. On se serait cru dans une parodie. Elle coula un regard animal à l'un des gars, puis leva doucement ses mains, docile.

"Pas de problème..." Elle fouilla dans sa gabardine, retira son joli poignard serti d'une poignée sans pareil. Elle vit que le loubard tiqua dessus. Finissant par ouvrir grand ses bras, sa gabardine ouverte comme les ailes d'une chauve souris, elle resta plus calme après avoir saisi une brève inspiration qui l'eut piquée d'un shoot d'adrénaline indicible. Belphor haussa gauchement des épaules, ses paumes tournées vers le ciel invisible, pour signifier qu'en dehors de son ossature effrayante il n'avait rien à offrir.

"Vous pouvez fouiller..c'est là tout..." Il y eut un silence, puis

"Pose ton couteau, et avancez"

Elle s'exécuta. Un instant, elle songea que si elle mourrait, ici, maintenant, elle souhaiterait voir depuis son ciel à elle la souffrance qui ressortirait du lieu, si ce n'était Dominic ce serait sa mère, si ce n'était sa mère ce serait un homme du Lys,  plus cupide encore : morte, c'était la moitié de ses actions qu'elle léguait à celui capable de venger son nom, depuis ce point de chute, et d'en offrir la preuve tangible, un ordre explicite lancé jusqu'au plus petit des petits abonnés à la sécurité sur cette friche sale... Anita n'était encore rien, mais son argent avait une valeur très actuelle.
Face à de tels malades, compliqué de s'avancer.
Elle méditait : si ce "Courtier" était à ce point soucieux de sa sécurité, jusqu'à aller se terrer comme en temps de guerre, elle espérait qu'il comprenne, pour peu qu'il soit vraiment futé, qu'un membre aussi richement vêtu qui acceptait, de lui-même, de s'enfoncer sous cette brèche de la brèche, était à considérer avec méfiance.

Tenter le diable, quelle expérience galvanisante...

Ceci fait, les deux gardes entreprennent de les fouiller, l'un se chargeant d'effectuer cette vérification tandis que l'autre les maintient en joue. Contrairement à ce que l'on aurait pu s'imaginer, le garde n'a pas les mains très baladeuses, et encore moins avec Belphor. Il semble même plutôt réticent à aller tâter sa fourrure, de peur sans doute de se voir décapiter d'un coup de patte inattendu, aussi effectue-t-il une fouille superficielle.

Et pourtant, malgré toutes ces innombrables précautions, lorsqu'Anita et son compagnon passent à travers l'ultime portique, celui-ci se met tout de même à émettre un bip inquiétant, détectant un objet ou appareil non autorisé qui serait passé inaperçu lors de la fouille. Il y a fort à parier que la bague d'Anita soit à l'origine du problème.

" STOP ! Restez où vous êtes ! " rugit l'un des deux gardes.

Dans leur dos sont de nouveau brandis les deux fusils, armés et chargés, sécurité levée, auxquels s'ajoutent deux regards assassins. Les gardes semblent hésiter quant à la marche à suivre : faire feu immédiatement ou poser des questions d'abord ? Un tel cas de figure ne fait apparemment pas partie de leur routine : ils n'ont aucun texte tout prêt tout préparé pour ça. il faut croire que jusque-là, personne n’avait eu l’audace de tenter d’outrepasser toute cette sécurité.

" Putain, je pensais pas qu'un jour quelqu'un tenterait le coup ! A quoi vous jouez, bande de cons, hein ? Vous pensiez que vous pouviez nous la faire à l'envers ? T'as un implant dans la tête, la décolorée, c'est ça ? Faut t'exploser le crâne pour vérifier ?! " menace le second en agitant son arme.

Elle resta impavide, même si la surprise l'eut prise quand le portique sonna : elle ne s'était pas attendue à des portiques si avancés.

"Du calme" sa réponse se fit plus cinglante qu'elle ne l'aurait souhaité, malgré elle. Que des raclures de bas étages à deux de QI en viennent à s'emballer tout de go sans user de leurs saletés de neurones encrassés initiait un début de rage comme viscéral. Il lui fallut prendre sur elle, au travers d'efforts qui la surprirent elle-même, quand elle regagna contenance à la manière d'une vague menaçante vue du large qui s'échoue avec beaucoup de candeur sur les berges.

De ses dents, elle détacha son gant, avec bonne volonté.
Belphor ne disait rien. Il avait comme gagné en volume : c'était toujours le cas quand la situation de stress atteignait chez lui un climax inquiétant :  prêt à retomber sur ses ennemis dans un fracas rouge, visuellement peu plaisant : car quitte à mourir, autant le faire en y décrochant quelques têtes.

- Ma bague dit-elle, juste. Elle leur envoya un regard équivoque, comme si cela allait de soi.

- Héritage de famille, une simple bague, au métal inestimable : c'est ce qui a dû faire sonner votre portique. Vous pouvez la scanner plus en détails pour vérifier sa composition et ce qu'il y aurait dedans, je ne m'y opposerai pas. Cependant, je refuse de vous la laisser, personne ne me la volera, elle vaut plus que ma propre vie... et vous semblez manquer cruellement d'argent... second regard éloquent qu'elle leur lança.

Sa bague valait très exactement dans les 156 990 crédits, une prouesse d'ingénierie qui redevenait une simple bague sitôt qu'Anita n'en formulait pas des mots spécifiques pour l'activer. Il était tout à fait possible de la tester et la décortiquer au travers de machines hors de prix qu'elle ne connaissait qu'entre les enceintes cloisonnées du Lys.
Elle jouait ici son sort sur un coup de poker.

@Junk

Visiblement, les paroles aussi bien que le ton d’Anita déplaisent au plus agressif des deux gardes, celui-là même qui avait proposé l’idée de lui exploser le crâne. L’arme toujours levée et maintenant rouge de colère, il s’avance encore un peu vers la jeune femme qu’il a en joue, comme s’il voulait lui faire inspecter son canon.

“ T’es en train de te foutre de ma gueule, p’tite bourge ? C’est quoi tes histoires d’héritage, hein ? ”

Derrière lui, son collègue, nettement plus passif, le regarde s’avancer avec horreur. Une goutte de sueur se met à perler sur son front, alors que ses yeux font l’aller-retour entre son camarade, et Belphor, le poil hérissé, muscles tendus, la truffe presque fumante.

“ Heu… Zoz, tu devrais p’t’être pas… ”

Lui préfère reculer d’un pas prudent, sans cesser de viser le panda qui le terrifie complètement. Le doigt sur la détente, prêt à faire feu mais tremblant comme une feuille. Le moindre sursaut pourrait lui faire tirer accidentellement.

“ Alors comme ça, elle vaut plus cher que ta vie, c’est ça ? Alors s’il suffit que j’te fume pour l’avoir, ça veut dire que je fais une affaire, héhéhé…poursuit Zoz l’ahuri.

- Zoz ! Qu’est-ce que tu fous ? C’est pas ça, notre taf ! Tu… ”

Soudain les deux hommes paraissent surpris, et même un peu coupables, comme deux gosses qu’on aurait attrapés la main dans le pot à cookies. Ils baissent aussitôt leurs armes, et Zoz effectue trois grands pas en arrière pour rejoindre son partenaire. Tous deux portent un doigt à leur oreille. Zoz semble soudainement être un autre homme, une fois sorti de son rôle de chien de garde : fragile et pitoyable. De celui qu’il prétendait être, il ne lui reste que son air stupide.

“ N-non, patron. P-pas du tout. Mais… C’est elle là, avec sa bague… Q-quoi ? O-oui. D’accord. Bien sûr ! Oui oui oui. Ah, oui. Tout à fait. Non, non non, je ne veux pas être viré, vous avez raison ! Oui, je vais être un bon garde. Encore désolé, patron. ”

Leur conversation terminée, il lance un regard noir à Anita, avant de se souvenir qu’il doit être un bon chien. Il affiche donc un sourire impressionnant de fausseté aux deux visiteurs avant de leur indiquer la porte. On sent à sa façon de parler que ces mots lui coûtent beaucoup.

“ Au nom du Courtier, je vous présente toutes nos excuses pour ce léger désagrément. Vous pouvez passer : il vous attend. ”

Après avoir passé la porte, qui bien entendu se referme derrière eux, ils se retrouvent dans une autre minuscule pièce faiblement éclairée et dépourvue de meubles. Une pièce vide, en somme, de vie notamment. Mais avant qu’ils n’aient eu le temps de penser qu’ils étaient tombés dans un piège stupide, un grésillement se fait entendre. Une lueur bleuâtre jaillit du plafond, quelque chose d’intangible prend forme sous leurs yeux. L’hologramme d’un homme au visage irréel, assis derrière un bureau métallique. Toute cette sécurité… pour protéger un hologramme ?

“ Veuillez excuser mes molosses, fait une voix diffuse qui résonne dans toute la pièce. L’hologramme leur adresse un sourire robotique. De braves bougres, je vous assure, qui font un travail tout à fait respectable - la plupart du temps. En revanche, bêtes comme leurs pieds : l’IA de ma machine à laver est plus développée, c’est dire. Incapables de discerner les vulgaires colporteurs d’invités de marque tels que vous !

Tout ce petit manège vous a certainement déplu, j’en ai conscience. Mais c’est ma façon de procéder. Vous l’aurez deviné, ce n’est en rien une sécurité, davantage un… outil, disons. C’est une façon pour moi de contrôler ce qui entre, d’une part… Mais aussi ce qui sort, ajoute-t-il avec un clin d’oeil. L’information est un bien précieux. Comme les plus grandes richesses s’échangent en mains propres, le partage de l’information doit se faire de vive voix ! Pas de connexion, pas d’intermédiaires, ni canaux ni rien. Seulement de vous à moi. Personne d’autre ne peut entendre ce qui se déroule entre ces quatre murs. Alors, dites-moi ce qui vous amène. ”

“ T’es en train de te foutre de ma gueule, p’tite bourge ?"

D'un mouvement inconscient elle se placa près de Belphor qui renâcla. Elle ne savait depuis quand la part humaine du théri était éraillée, mais on le remarquait bien sous la pression : il redevenait plus animal au sens propre du terme.

"Calme-toi Belphor" l'intima-t-elle à voix basse. Elle avait perdu ses effets de politesse, le visage grave.
Sans arme, ils ne pouvaient rien faire. Cette vérité lui brula le cerveau d'un nouveau feu.

Alors s’il suffit que j’te fume pour l’avoir, ça veut dire que je fais une affaire...

Les yeux écarquillés, ce discours lui échappa, vraiment : s'était-elle trompée au sujet de ce contact ? Si oui, pourquoi diable y aurait-il construit un bunker avec autant de moyens... ? Malgré toute cette tension qui déferlait en elle - seuls les perdus, neurasthéniques, ou autres shootés aux simulations et films au point d'avoir oublié le caractère véritable de la mort, la vraie, pouvaient s'imaginer nonchalant lors de leur propre disparition. Pour l'instant, Anita était très lucide sur le caractère glissant de la scène. Aucun éclat de folie pour l'accompagner, pas autant d'adrénaline qui pourrait déglinguer son cortex, comme ce fut le cas des semaines plus tôt, dans le fossé... Elle posa une main sur le bras de Belphor, malgré tout.

"Calme-toi." qu'elle lui répéta.

Subitement la tension s'affaissa, d'un coup. S'offrant le droit de respirer plus fort, Anita repoussa les mèches de son visage devenu moite. Elle sentit sa tête lui tourner, bousculée par la traction de cet ascenseur émotionnel.
Belphor n'était pas plus retombé, alors elle garda sa main gantée, bien ancrée, sur la fourrure du géant. On va tous gentiment regagner un rôle plus civilisé,  tout doux...

Le garde joua la carte de l'hypocrisie latente. Anita ne le calcula pas. Une manie automatique chez elle, de se désintéresser des gens qui ne lui offraient rien, prouvant qu'il n'était pas même une merde à ses yeux, - celle-là, on l'évitait, sciemment - rien qu'une poussière : invisible. Elle s'enquit de son compère. Il mâchonnait dans le vide, à cause de la bave qui avait commencé à suinter de ses babines.

"Là, l'ami... tu le vois, que tout va bien..." insista-t-elle. Elle lui tapota le bras, paternaliste. Il coula un regard inconscient, assez flippant, vers elle. Vraiment, il était de bonne augure d'être apprécié de Belphor. Par un concours de circonstance qui l'avait laissée dubitative dès les premières fois (Etait-il utile de rappeler qu'Anita ne vouait, absolument, aucune considération pour les théris ?) Belphor la tenait dans ses bonnes grâces, tant mieux. C'est ce qui lui permit, sans doute, d'essuyer l'écume de ses lèvres d'un revers de son gros poignet.

Elle ne rompit pas le contact avec lui, jusqu'à temps qu'ils passent dans la salle suivante et éprouvent la naissance des lumières.
Un hologramme leur fit de l'oeil. Pas tout à fait remise par sa montée de stress, Anita s'efforça d'écouter les convenus. Sous des airs de statue blanche, elle en saisit un peu : voilà pourquoi les portiques étaient à la pointe D'où venait-il exactement ? Et Anita le concluait d'elle-même, une histoire de machine à laver dernier cri. Sans doute le Lys.

Après son dialogue, elle eut un sourire clairement rincé.

"Une introduction spectaculaire, à sa manière ..." concéda-t-elle, comme si elle le déplorait. Belphor ne pipait mot.

"Je sais faire usage de parole selon l'interlocuteur qui me fait face." promit-elle.

De toute manière, sa bague ne capterait jamais ici bas - il lui avait juste paru inconcevable de la laisser aux mains de ces protozoaires. Dans tous les cas, bague ou non, c'était Anita qui était ici, à mille lieu sous terre. Elle qui faisait des efforts pour se déplacer. Cette idée, au final, la galvanisa : si rares étaient les riches qui se déplaçaient en personne, encore assez couillus pour montrer leur visage sans avoir à se draper des artifices de la technologie. Concluait-elle, plus superbe et puissant pouvait être ce "Courtier", par cela, il ne différait pas du tout du reste....

"J'ai besoin d'informations sur une enfant disparue..." dit-elle d'une voix absente, repoussant encore ses cheveux moites comme après une bonne course.  "J'aide un ami influent du Lys, alors si vous m'aidez à votre tour efficacement... je saurais m'en montrer digne " ce fut dit sans une pointe d'arrogance, plutôt avec grande déférence.
Elle vit bien que pour Belphor, tout ça était du chinois. Pas son monde, pas son univers, dans son état il ne chercha même pas à comprendre : en dehors d'Anita, ils n'avaient jamais aimé les gens pédantesques du genre...

Anita, en revanche, aaaah Anita, elle offrit à l'hologramme son sourire le plus doux et le plus heureux, à la limite de ceux enfantins, sa signature, mimique glanée d'un autre. "cherche dans ta base de données, mon ami" l'encourageait-elle du regard. Elle était peut-être sans arme, sans rien pour se défendre, petite souris blanche, mais elle y était : elle, venue de son plein grès, suicidaire en l'état, très douée pour s'écraser et offrir des courbettes.  Mais les deux pieds vissés sur terre, pour sûr, elle ne laissait pas son linge sale aux bons soins d'un machine évoluée, elle le lavait elle-même : qu'il cogite, comprenne que la tuer lèverait une nuée d'emmerdes dans ses affaires.

Sage, elle rangea ses mains gantées dans son dos, raclant dans sa mémoire.

"6 rue Bersox, à la frontière de la Passerelle, appartement numéro neuf. Une enfant kidnappée le vingt-neuf décembre 8203, un peu après minuit, sa mère : Alma. (et pour ça, elle récitait fidèlement, presque comme une automate) Trois hommes cagoulés l'ont trainée dans un sac. Elle a dix ans, son nom est Veda, brune, les yeux verts, j'ai besoin de la retrouver" ses yeux, momentanément dans le vague quand elle eut déclamé son compte rendu, se raccrochèrent au visage holographique "de préférence vivante." Et de lui tendre un petit sourire d'excuse, l'air de dire "oui, ça c'est le plus difficile."

@Junk

En effet, le Courtier ne prendrait certainement jamais le risque de dévoiler son identité, que cette voix et cette apparence aussi neutres que factices nimbent de mystère. Peut-être vient-il du Lys, comme Anita le suppose, ou bien cette histoire de machine à laver intelligente n'était qu'une boutade... Toujours est-il que, si comme affirmé auparavant il se passe en effet de toute forme de connexion, c'est qu'il doit être là, quelque part, assez proche pour être relié au réseau local lui permettant de contrôler cet hologramme.

A l'écoute d'Anita, l'hologramme croise les jambes et joint ses mains au-dessus du bureau avec une certaine prestance. Lui seul sait pourquoi, mais le récit de la jeune femme lui prête à sourire. Lorsqu'elle a terminé, il reste immobile et muet une trentaine de secondes.

" Je vois, reprend-il soudain après ce moment de flottement. Compte tenu de la situation, j'ai le plaisir de vous informer que vous avez sonné à la bonne porte. Mais c'est, j'en ai bien peur, la seule bonne nouvelle que je pouvais vous annoncer. " déclare-t-il sans pour autant se départir de son sourire.

Au-dessus du bureau, une image plate est projetée, photographie d'une jeune fille au fond d'un débarras obscur, affalée en position assise sur un tas de bric-à-brac, jetée là comme un déchet encombrant. Les yeux clos, le visage inexpressif, impossible de définir si elle est seulement inconsciente, ou...
Deux seules choses sont certaines, en voyant cette image : il s'agit sans doute de la dénommée Veda, et elle ne porte aucune marque de coup ou blessure.

" S'agit-il là de l'enfant que vous avez mentionnée ? Je peux toujours me tromper, mais j'en doute. Les similitudes sont trop nombreuses pour n'être que des coïncidences. Cette pauvre petite chose a beaucoup fait parler d'elle, figurez-vous. Dans le coin, tout du moins. Une histoire absurde, même dans un monde comme le nôtre. Je pourrais vous aider à la retrouver, en effet. Mais, vivante ? Si vous voulez mon avis, c'est peine perdue. Mais, ce n'est que mon avis.

Cette image a été prise le 12 Janvier, dans l'entrepôt de l'une de ces boutiques véreuses de la Brèche. Inutile de leur rendre visite toutefois, il y a bien longtemps qu'elle n'y est plus. En revanche, je sais qui l'y a amenée, mais surtout, qui l'a récupérée. Oh, mais peut-être en ai-je déjà trop dit... Vous parliez de vous montrer digne ? Heureux de savoir que vous n'avez pas oublié que ceci était avant tout un échange. Alors, dites-moi, puisque j'ai moi aussi quelques questions dont je meurs d'envie de connaître les réponses.

Qui est cet homme si influent du Lys qui a requis votre aide ? Pourquoi un homme de son rang envoie-t-il une femme telle que vous à la recherche de l'insignifiante fille perdue d'une pauvre inconnue de la Passerelle ? Moi qui trouvais déjà cette histoire absurde, j'ai le sentiment que je pourrais encore être surpris ! Oh, et, je vous le rappelle par simple formalité : gardez-vous bien de me mentir. Si obtenir une information peut-être difficile, vérifier sa véracité l'est beaucoup moins. "

Mains toujours dans le dos, elle resta docile devant la photo, écoutant les informations qu'il lui léguait à la petite cuillère.
Il avait répondu plutôt vite à l'identité de l'enfant. Et pour Anita, ça ne présageait rien de positif. Etait-il impliqué dans ce kidnapping ? Orchestrait-il lui-même tout un jeu farfelu en guise d'anarque ? Mais dans ce cas, pourquoi aucune rançon ne fut jamais lancée ?  Quelque chose ne tenait pas la route... Et à mesure qu'elle s'égarait dans ses pensées, elle inspira doucement, s'encourageant à conserver sa patience. Ce mélange pâteux d'amusement et de condescendance, elle l'avait côtoyé toute sa courte vie faisant, au point de s'y confondre quand il le fallait, face à des hommes, des femmes, qui voueraient leur existence à des croche-pieds fatals.

Je n'ai ici pas de raison de vous mentir... dit-elle, comme lasse. Elle releva ses yeux vers la lâcheté de ses prétentions, derrière toute cette fumisterie holographique...

"Mon client ne souhaite pas que son implication soit ébruitée. Je resterai digne confiance. A ce titre je ne peux vous fournir son identité... J'ose espérer que vous comprenez. Vous m'avez l'air d'affectionner, vous aussi, la fidélité de vos employés, qui ne retourneront pas leur veste pour une simple bague ?" Elle l'avait dit avec une innocence candide, mais sous un sourire amusé. Pour ça, Dominic l'intéressait bien plus que cette copie d'hologramme qui léchait la boue de la Brèche. Le commerce du tabac était une denrée vertigineuse sous le dôme. Fort à parier que son interlocuteur cédait, lui aussi, à cette impulsion fumeuse ?

"Mais je peux vous dire qui je suis." concéda-t-elle. Elle vit Belphor se retourner vers elle, malgré lui, pris par surprise.

"Mon nom est Anita. Je suis née au Lys, et j'ai quelques affaires à relancer..." Elle le croyait assez futé pour récupérer son visage dans la mémoire de cette chère IA, qu'il chérissait tant, et faire la corrélation de lui-même.

"Je préfère traiter avec des individus dignes de confiance... mais dans la Brèche, je dois vous avouer qu'ils sont plutôt compliqués à trouver..." frémissement de rire. Peut-être Belphor s'en trouverait-il honoré, en tout ca il n'y laissa rien paraître. Anita n'y prêtait pas d'importance, les pensées cognitives du panda lui étaient par souvent grotesques, il avait l'air de suivre ses propres logiques simplistes...

Se frottant le front du plat de sa main, elle se sentait de plus en plus las.

"Je souhaite aider un ami. Je pourrais vous fournir ce que vous en demanderez, qui soit, j'espère que vous le comprenez là aussi, équivalent aux résultats de vos données. Ce qui vous chante, ce qu'il vous manquerait, difficile d'accès ? Comment savoir si j'honorerai ma part du contrat une fois la fille retrouvée, ah..." elle sourit, doucement "... j'ai appris qu'il était plus avisé de se faire des alliés que des ennemis, et vous m'avez l'air rodé à l'exercice des représailles avec tout..." elle désigna l'endroit, d'un air vague, comme on chasserait une mouche sans énergie  "votre attirail..." Alors elle laissa retomber son autre main, gardée dans le dos tout du long, incapable de dénouer ses manies marquées par le fer sacrément rude de l'enfance... "Ma seule condition, c'est que je puisse me fier en vos informations. Et ma part sera plus conséquente si la fille est retrouvée vivante. Tout dépend, bien sûr, si ma proposition à plus de valeur pour vous qu'une enfant de la Caste, et si nous comprenons le même langage des échanges non tronqués" Franchement rasée, elle jeta un regard en arrière, vers la porte fermée "... Je vous avouerai, si c'est une chose qui est hors de vos compétences ,  j'en retournerai bredouille, cela me convient. Sous ce dôme, nous ne pouvons sauver tout le monde, surtout : nous essuyons tous nos difficultés dans le secteur où nous officions. Autre sourire très chaste. Pas une seule fois n'avait-elle levé la voix, rit à ses dépends ou fait preuve de condescendance...  Elle restait d'une politesse quasi exécrable, or ses mots n'auraient pu être plus limpides. Lui qui se consolidait une carrure intouchable, il semblait assez lent pour tracer une gamine attrapée par des idiots de première. Si ce que ce Courtier voulait, c'était s'amuser à un marchandage hautement inéquitable, tant pis pour Dominic. Il y avait, après tout, d'autres clients avec qui Anita saurait traiter.

@Junk